Cher X :

Comment suis-je arrivé à comprendre les mathématiques? Quelle excellente question! Il y a cette histoire qu’on raconte où un touriste à New York, perdu et sur le point d’être en retard à un concert, arrête sa voiture, baisse la fenêtre et demande à un agent de la circulation : « Monsieur, comment puis-je me rendre à la Carnegie Hall? »

L’agent hausse les épaules : « Par la pratique et la répétition ! »

Comme j’ai dit au début du cours, nous vous présentons une série d’exercices à faire. Si vous avez besoin de plus, vous en trouverez un tas dans le manuel. Si vous voulez encore plus, ou si vous cherchez des réponses différentes, Mme Y et moi vous recommandons le livre Outline of Calculus de Schaum, un classique et toujours bon marché après soixante-dix ans. Faites ces exercices aussitôt après le cours afin de mieux retenir la matière.

Presque n’importe qui pourrait ainsi atteindre une compétence mathématique de base ─ seulement s’il le fait constamment et le prend au sérieux. Voilà ce que j’ai fait, et ce que Donald Coxeter a fait, et ce que Einstein a fait. (Les histoires sur ses échecs au secondaire sont fausses et semble provenir d’un changement du schéma de notation où le 1 qui désignait autrefois la note le plus élevée vient signifier dans le nouveau système le niveau le plus faible. Et le 5 qui marquait auparavant le niveau le plus faible vient qualifier le niveau le plus avancé.). La seule variation du modèle est que plutôt que de le faire dans le cadre d’un cours, certaines personnes exceptionnelles font ce travail toutes seules ─ mais tous et toutes passent par cette étape.

La prochaine étape consiste à maîtriser les exercices avec de nouvelles idées et à prouver de nouvelles choses. Vous devrez peut-être apprendre plus de nouvelles idées lors de la lecture d’un article mathématique que pendant vos cours de calcul. Ou bien pour un projet de recherche, vous devrez peut-être lire plusieurs articles par jour. C’est une compétence qu’on acquiert par la pratique. Au cours de la rédaction d’un article, un processus plutôt lent, vous devrez peut-être inventer autanat des idées. Afin d’acquérir ces compétences, vous commencez avec une seule question de type « Prouvez que… », accompagné de questions « technique » – et vous continuez ces exercices pendant une douzaine de cours au premier cycle, puis plus aux cycles supérieurs pour finir avec une thèse. Pratiquez…

Faîtes-le bien par plaisir, posez des questions que personne n’a posées. Soyez prêt à fixer le papier vierge pour le vingtième jour consécutif dans l’espoir qu’un théorème vous passe par l’esprit au bout du vingt-et-unième jour – ce sont des choses que personne ne sait enseigner. Cela nous amène à une autre vieille histoire où un musicien amateur convainc un maître virtuose de l’écouter jouer et de lui dire s’il a du potentiel. Le maître secoue la tête à la fin de sa performance et dit : « Vous n’avez pas le feu. » Le musicien amateur avale sa salive, quitte la pièce et finit par devenir un courtier réussi.

Des années plus tard, il revoit le musicien lors d’une soirée : « Je devrais vous remercier de m’avoir dissuadé de poursuivre la musique. » Sourire triste : « J’ai eu une carrière financière bien réussie. »

« Je t’ai dit que tu n’avais pas le feu, c’est ça? »

« C’est bien ça! »

« C’est ce que je dis à tous ceux qui jouent pour moi. »

« Quoi? Vous voulez dire que j’aurais pu devenir musicien? »

« Non, mon ami! Si vous aviez le feu, vous n’auriez pas pris mon conseil. »

Mais peut-être ce feu, vous l’avez, qui sait ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.

RD