Frivolité du plan de cours

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Éditorial
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Éditorial
Juin 2023 (tome 55, no. 3)

Il y a cette anecdote d’un empereur dont la femme meurt. Le cœur brisé par le deuil, il exigea qu’on lui construise le plus grand tombeau imaginable, un monument qui éclipserait le Taj Mahal dans son opulence de marbre, de calcédoine et d’or. Pendant des années, le cadavre de l’impératrice reposa dans un cercueil noir, comme il en était coutume à l’époque, tandis que les maçons et les doreurs travaillaient avec ardeur. La construction de l’édifice n’acheva qu’après la mort de l’empereur et il était tout aussi grandiose que les architectes l’avaient envisagé. Seul le cercueil noir nuisit à sa splendeur. Ainsi, selon la légende, le nouvel empereur fit enlever le cercueil.

Depuis quelque temps, l’une de mes tâches départementales a été d’évaluer les cours des autres universités pour déterminer comment ils correspondent aux nôtres pour que le bureau du registraire puisse transférer les crédits des cours complétés dans une autre université. Lorsque j’ai commencé, je me servais du calendrier des cours des autres universités, soit par un lien Web soit via une photocopie que quelqu’un aurait envoyée par courriel. Ce document contenait la description officielle des cours et nous apprenait sur le cours et sur les connaissances des étudiants avant le premier jour de la classe. De temps en temps, on tombait sur une description brève et vague (‘des sujets de choix du professeur en théorie moderne des graphes’), dans quel cas, on aurait demandé plus de détail. Le plus souvent, il est suffisant d’obtenir le titre du manuel au programme.

Ces jours-ci, chaque cours vient avec son propre plan de cours. Normalement, le plan de cours présente la liste des sujets qui seront abordés dans le cadre du cours. (Ce qu’on ne peut pas indiquer dans le calendrier vu les contraintes de longueur des descriptions de cours. On aurait pensé que l’avantage du calendrier en ligne sur les calendriers papier d’autres fois serait qu’on pourrait utiliser autant de mots que nécessaire pour décrire un cours, mais évidemment, ce n’est pas le cas). Les professeurs sont ainsi invités (ou tenus) à ajouter un tas d’autres informations.

On y lit d’abord ce que nous écrivions d’habitude sur le tableau au début de la session : le nom du professeur, le titre et le cote du cours, le numéro du bureau, le numéro de téléphone, le courriel, le titre du manuel et les heures de bureau. Jusqu’ici c’est juste. Inclure la répartition des notes et la date de l’examen de mi-session me semble tout aussi raisonnable. Or dans de nombreuses universités, cela n’est qu’un début. Il y a des listes d’objectifs d’apprentissage, ce qui n’est pas mauvais en soi s’ils s’en tiennent aux mathématiques, mais quand (ça arrive parfois) ils s’égarent dans le développement professionnel et spirituel, j’ai l’impression que le document n’est plus un plan de cours. J’ai vu – sans blague – des plans de cours qui prétendent (invraisemblablement) qu’une partie donnée du cours de mathématiques soutiendrait le développement des étudiants en christianisme, en Islam ou en pensée marxiste-léniniste.

De plus, il y a des informations précisant les règlements de l’Université concernant une gamme de sujets, du harcèlement, aux jours de neige et au plagiat. Ne vous méprenez pas, ces règlements sont tous importants; assez important qu’elles soient mises à la disposition des étudiants sur une plateforme quelconque et que ces derniers sachent où les retrouver. Cela devient toutefois préoccupant si les professeurs incluent ces informations dans leurs plans de cours pour que l’administration puisse se débarrasser de son obligation de le faire directement. Les professeurs ne façonnent pas ces règlements; les informations sont pareilles d’un cours à l’autre; et il y a sûrement une meilleure façon d’en informer les gens.

Par conséquent, ces documents sont longs de plusieurs pages avec peu d’informations correspondant aux objectifs d’un plan de cours. Or ils sont devenus les moyens de communication acceptés entre les universités en ce qui concerne le contenu de cours. Le mois dernier, j’ai essayé d’aider un étudiant frénétique à rédiger une demande d’admission à une autre université et on avait de la difficulté à trouver le plan d’un cours donné il y a des années. Le chargé de cours qui avait conceptualisé ce plan de cours n’enseigne plus à notre institution; et le calendrier des cours, quoiqu’assez clair et élaboré, n’était pas adéquat selon les critères de cette autre université parce qu’il n’était pas un plan de cours officiel. Je pense qu’on a fini par trouver une copie dans nos dossiers.

Cela a atteint son comble d’absurdité récemment quand on m’a demandé d’évaluer l’équivalence de crédits d’un cours offert dans une université canadienne très réputée. Le plan de cours (ou le document que prétendait l’être) comptait 8 pages: assez long qu’il a mérité sa propre table des matières. Il abordait toute sorte de sujets, du manuel du cours aux règlements concernant le port du masque. Il manquait seulement le contenu du cours pour lequel le lecteur était renvoyé à une page web de l’université à laquelle, en tant qu’étranger, l’accès m’a été refusé. L’impératrice avait quitté l’édifice.

Et alors, j’ai obtenu les informations nécessaires du calendrier des cours.

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