Le but de l’exercice

Éditorial
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Éditorial
Décembre 2023 (tome 55, no. 6)

Je ne sais pas exactement ce qui a motivé la proposition du gouvernement du Québec d’augmenter les frais de scolarité à McGill, Concordia et (peut-être) Bishop’s à des taux inabordables. L’idée que quelques milliers d’étudiants anglophones menacent en quelque sorte la langue française au Québec (ou même à Montréal) est absurde. Non seulement beaucoup de ces étudiants apprennent une quantité raisonnable de français et l’utilisent lorsque c’est nécessaire, mais leur nombre est éclipsé par le nombre bien plus important de touristes anglophones qui visitent le Québec chaque année.

Il est vrai que de nombreuses universités canadiennes hors Québec appliquent des tarifs plus élevés pour les étudiants étrangers et (dans une bien moindre mesure) pour les étudiants d’autres provinces. Le premier cas est regrettable et ne se justifie que par la contribution qu’il apporte au fonctionnement de l’université. Au Québec, il semble que l’augmentation prévue de 20 000 dollars des droits de scolarité pour les étudiants étrangers ne restera pas dans les mains de l’université qui doit la percevoir (et qui perd ainsi des étudiants) : elle lui sera retirée et servira à subventionner d’autres universités.  En ce qui concerne les étudiants des autres provinces, ces frais différentiels (bien que beaucoup moins importants que ceux que le Québec propose actuellement) sont également préjudiciables, et un accord mutuel pour cesser de les percevoir serait une excellente idée. Le Québec a conclu des accords avec d’autres pays pour que leurs étudiants soient traités comme des étudiants locaux. Serait-il prêt à conclure avec le reste du Canada le même type d’accord bilatéral qu’il est heureux de conclure avec la France et la Belgique ? Malheureusement, cela semble peu probable.

Il ne semble pas plausible que l’augmentation des frais de scolarité encourage les étudiants à parler davantage le français. François Legault et Pascale Déry ont-ils vraiment une vision romantique de Madison (de Chicago) se tournant vers Logan (d’Edmonton) lors d’une fête et lui disant : « Hé, Logan, vu qu’on paie si cher pour être ici, peut-être qu’on devrait pratiquer un peu notre français, hein ? Tu connais de bons verbes irréguliers ? » Logan ricanerait peut-être, mais ne pratiquerait probablement pas la langue. L’offre (refusée) de McGill d’imposer des cours de français aurait été bien plus efficace.

L’idée est-elle de faire fuir ces étudiants, afin que leurs voix ne troublent pas la paix des rues du Québec ? Même cela n’a aucun sens. Montréal a une énorme population anglophone non étudiante, qui continuera à parler anglais. Quant à Bishop’s, je ne crois pas que Legault et Déry aient perdu le sommeil en s’inquiétant de la langue parlée dans les rues tranquilles de Lennoxville. Dans la plupart des autres régions du Québec, la majeure partie de l’anglais est parlé par les touristes ou à leur intention. Pour être cohérent, la CAQ devrait peut-être instaurer une taxe de 100 % sur les chambres d’hôtel louées à toute personne qui n’a pas de permis de conduire québécois, mais je ne vois pas cela se produire.

Mais faire fuir autant d’étudiants aurait un effet important au Québec : cela causerait des dommages terribles aux universités anglophones, peut-être des dommages irrémédiables. Il est tout à fait possible que Legault et Déry aient négligé cet aspect, dans leur enthousiasme à vouloir entendre moins d’anglais sur la rue Sherbrooke. Je ne voudrais pas imaginer que c’était le but de l’exercice.

Le Québec compte plusieurs excellentes universités francophones, notamment l’Université de Montréal et l’Université Laval. Ces deux dernières, en particulier, sont classées parmi les quelques centaines de meilleures au monde. Mais le Québec compte aussi une université qui se classe toujours dans les cent premières, souvent dans les cinquante premières : McGill. Faire fuir des milliers d’étudiants – non seulement ceux qui paient les frais les plus élevés, mais aussi, dans bien des cas, ceux qui avaient le choix entre plusieurs universités de premier plan et qui ont opté pour McGill – rendrait difficile le maintien de ce prestige. La CAQ n’a certainement pas l’intention de commettre un tel acte de vandalisme culturel et intellectuel, simplement par aigreur, parce que l’université la mieux classée de la province n’est pas francophone? Le Québec serait-il vraiment mieux loti s’il n’y avait pas d’université de classe mondiale que s’il y en avait une qui fonctionnait en anglais ?

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : rjmdawson@gmail.com
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