Edward Doolittle's picturePensionnats autochtones au Canada

Les pensionnats autochtones étaient des établissements publics d’enseignement, fondés par l’État canadien et gérés par les ordres religieux dont le but était l’assimilation des enfants autochtones dans la religion chrétienne et dans la culture canadienne dominante. Environ 150.000 enfants autochtones au Canada ont été envoyés dans les pensionnats entre l’établissement du système en 1879 et la fermeture du dernier pensionnat en 1996.

Les élèves envoyés dans les pensionnats, connu.e.s désormais comme les Survivant.e.s des pensionnats, ont subi des maltraitances et des abus d’une ampleur extraordinaire perpétrés par les dirigeant.e.s de ces établissements. L’action judiciaire des Survivant.e.s a mené à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens en 2007. Cette entente, résultat du plus grand règlement de recours collectif au Canada, comprend un total de 1,9 milliards de dollars versés aux ancien.ne.s élèves en réparation des séquelles laissées par les pensionnats (Paiement d’expérience commune) et 3,1 milliards de dollars versés aux survivant.e.s pour les dommages subis au-delà de la norme. La Convention de règlement relative aux pensionnats a aussi établi la Commission de vérité et réconciliation afin de documenter et conserver les expériences et les histoires des survivant.e.s.

Parmi les statistiques plus étonnantes, révélées par la Commission de vérité et réconciliation on retrouve celle concernant le taux de mortalité des élèves autochtones envoyé.e.s dans lespensionnats. Sur les 150 000 élèves, au moins 6.000 ont perdu la vie pour des causes directement liées à la qualité de leur vie et de leur santé dans les pensionnats. Cela représente un taux de mortalité d’environ un sur vingt-cinq élèves. Or, le taux de mortalité des soldats canadiens qui ont servi dans la Deuxième Guerre mondiale était de l’ordre d’un sur vingt-six.

Plusieurs de ces morts sont attribuables à la tuberculose. Bien que la tuberculose ait touché une grande partie de l’humanité avant la découverte des antibiotiques, la propagation et la mortalité de cette maladie ont été favorisées par les conditionnes minables qui sous-tendaient la vie dans les pensionnats autochtones, dont la malnutrition et la pauvre qualité de vie dans un système sous-financé. En plus de la malnutrition, les abus physiques et sexuels étaient répandus dans les pensionnats autochtones. Des milliers d’histoires des victimes ont été documentées à cet égard par la Commission de vérité et réconciliation.

Ce sont les défaillances d’un système qui était mal conçu, sous-financé, et mal-géré. Or, il faut se rappeler que l’objectif principal des pensionnats autochtones était de « tuer l’Indien dans l’enfant », une politique de génocide culturel. Les pensionnats autochtones ont misérablement échoué dans leur responsabilité de protéger les enfants autochtones, mais leur objectif d’interrompre la transmission des cultures et des langues autochtones d’une génération à l’autre a été plus ou moins réussi. Les Canadien.ne.s ont une responsabilité morale de réparer les effets des pensionnats autochtones et de rétablir le dynamisme des cultures et des communautés autochtones.

Vérité et réconciliation

À cette fin, la Commission de vérité et réconciliation lance un ensemble d’Appels à l’action pour les gouvernements et la population générale. L’ensemble de ces appels se trouvent sur le site Web de la Commission de vérité et réconciliation.

À titre d’exemple, l’appel à l’action #62 stipule ceci: « Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, en consultation et en collaboration avec les survivants, les peuples autochtones, et les éducateurs, de : […] ii. Prévoir les fonds nécessaires pour permettre aux établissements d’enseignement postsecondaire de former les enseignants sur la façon d’intégrer les méthodes d’enseignement et les connaissances autochtones dans les salles de classe. » 

En effet, un grand nombre de ces Appels à l’action sont relatifs à l’éducation. Comme l’affirme le président de la Commission de vérité et réconciliation, le sénateur (et ancien juge) Murray Sinclair, « C’est l’éducation qui nous a mis dans ce pétrin et c’est l’éducation qui nous en sortira. »

Réponse du gouvernement

Le 15 décembre 2015, le gouvernement fédéral du Canada s’est engagé à mettre en œuvre les Appels à l’action qui exigent des changements non seulement par rapport aux conditions de vie des peuples autochtones dans ce pays, mais aussi par rapport à la relation entre les peuples autochtones et allochtones.

À titre d’exemple, en réponse à l’Appel à l’action #43, le gouvernement du Canada a annoncé son appui total à l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette déclaration a le potentiel de transformer radicalement les structures légales et gouvernementales au Canada, surtout celles relatives à la gestion des ressources, et ultimement, à la société canadienne. Nous avons tous et toutes la responsabilité de prendre connaissance de ces transformations afin de mieux nous préparer nous-mêmes, ainsi que nos étudiant.e.s et nos institutions.

Réponses des universités

Les universités canadiennes et les autres organisations professionnelles ont commencé le long processus de réconciliation en répondant aux Appels à l’action. Étant donné la nature exhaustive et profonde de ces Appels, la réponse des universités a été lente et hésitante et a varié d’une université à l’autre. Or, il y a des thèmes communs qui ressortent de ses réponses.

Par exemple, l’autochtonisation aux différents niveaux (salle de classe, services aux étudiant.e.s, et l’université en général) est un thème émergent dans les réponses des universités aux Appels à l’action. Il n’existe pas encore une définition claire de l’autochtonisation, mais cette démarche comprend l’intégration des idées, des concepts et des pratiques autochtones dans les programmes scolaires, les méthodes pédagogiques, la recherche, l’administration, et les services communautaires. L’autochtonisation pourrait, vraisemblablement, avoir un impact sur tous les aspects opérationnels de l’université, y compris l’enseignement et la recherche mathématique.

n this cartoon, Zapiro shows Archbishop Desmond Tutu at the edge of a cliff called "Truth". Behind Tutu are a group of reporters, along with a perpetrater and a victim in a wheelchair. Across the gaping chasm, there is another cliff — this time called "Reconciliation". Clutching an empty map, Tutu utters one word: "Oops!".
Zapiro- 1997

Réconciliation et mathématiques

Dans le cadre des efforts à répondre aux Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, l’Université nous demande, en tant que mathématicien.ne.s, d’autochtoniser nos pratiques. Or, nous sommes parmi les groupes les moins bien préparés pour le faire. Les mathématiques sont prétendument dédiées à la vérité (ou, à tout le moins, à la validité) et situées parfois au-delà de la culture et de la politique. C’est ce qui m’a d’abord attiré vers les mathématiques dans ma jeunesse. Or, les mathématiques peuvent-elles rester à l’écart de toute actualité ? C’est l’attitude commune parmi les mathématicien.ne.s. Cette conception des mathématiques fait en sorte que nous sommes peu préparé.e.s pour contribuer aux entreprises morales, culturelles et politiques quand on nous interpelle.

Cela dit, je crois toujours qu’il est impératif que les mathématicien.ne.s se mettent à l’oeuvre et contribuent aux efforts de réconciliation, au-delà même des exigences de nos universités et des impératifs moraux concernant le public général dont j’ai fait mention plus en haut. Considérons ce qui a été enseigné dans les pensionnats autochtones. J’imagine que la plupart des élèves y ont appris quatre matières: le travail manuel, normalement l’agriculture pour les garçons et le ménage pour les filles, pour ainsi établir la place des élèves autochtones dans les rangs économiques et maintenir le sous-fnancement des pensionnats; études religieuses, pour coloniser les élèves et séquestrer leurs liens avec leurs traditions culturelles et spirituelles; l’anglais ou le français, cela aussi pour coloniser les élèves et briser les liens avec leurs langues traditionnelles; et finalement les mathématiques. « Ils nous ont vraiment eu avec les mathématiques », a dit l’une des survivantes. C’est un sujet qui, à ma connaissance, n’a pas encore été étudié. Or, il me paraît que le pouvoir des mathématiques a été abusé dans ces pensionnats, tout comme c’était le cas pour les autres matières enseignées. Elles ont été transformées en outils de colonisation et de répression. On pourrait se pencher davantage sur ce sujet dans les domaines de l’enseignement des mathématiques et les mathématicien.ne.s et les enseignant.e.s de mathématiques doivent s’instruire sur le potentiel des mathématiques à faire beaucoup de mal.

Comment donc les mathématicien.ne.s peuvent-ils ou elles s’impliquer dans les efforts de réconciliation? J’aimerais offrir une série d’idées pratiques qui touchent aux responsabilités quotidiennes des mathématicien.ne.s dans les établissements d’études supérieures, surtout en ce qui concerne le programme et les méthodes pédagogiques, la recherche et le service communautaire. Mes suggestions sont tirées de mes propres expériences d’enseignement dans différents contextes. Dans ma carrière, j’ai enseigné à plus de mille élèves autochtones dans les différents endroits (des réserves en Ontario et en Saskatchewan, des réserves isolées accessibles seulement par avion au nord de l’Ontario, des universités et des collèges en Ontario et en Saskatchewan); et pour les différents programmes (cours de mathématiques générales pour les étudiant.e.s inscrit.e.s dans les programmes outre que les sciences, les cours d’enseignement des mathématiques pour les enseignant.e.s d’écoles primaires et secondaires et les cours en Études autochtones). Les centaines des communautés autochtones au Canada se diffèrent l’une de l’autre et mes expériences n’en concernent qu’un petit échantillon. J’encourage ceux et celles qui s’intéressent à ces sujets à saisir les occasions pour apprendre davantage et enrichir leur expérience avec les cultures autochtones et à développer leurs propres réponses créatives aux défis auxquels nous faisons face. La créativité et les contributions précieuses des collègues qui ont relevé le défi d’autochtoniser leurs pratiques ne cessent jamais de m’impressionner.

Arithmetic in Mayan Base
Arithmetic in Mayan Base

J’ai eu des expériences plutôt réussies à autochtoniser le programme de certains cours, surtout les cours comme « Introduction aux mathématiques des éléments finis ». J’y ai inclus les sujets comme les arithmétiques dans d’autres bases (arithmétiques mayas et chumash, par exemple) avec des liens intéressants avec l’Unicode du système hexadécimal qui représente les systèmes d’écriture autochtones; les arithmétiques modulaires, qui peuvent s’appliquer au chronométrage et aux calendriers; et la théorie des nombres élémentaire à l’aide de broderie de perles. Certains de ces exemples sont, je l’avoue, plutôt superficiels. Par exemple, je me sers des dates importantes dans l’histoire autochtone pour montrer à mes étudiant.e.s comment calculer le jour de la semaine à partir d’une date donnée, ou j’utiliser les données autochtones pour étudier la distribution des groupes sanguins avec les diagrammes de Venn. C’est tout de même mieux que rien, tant que les efforts ne s’arrêtent pas sur ces exemples superficiels. En statistiques, j’utilise les jeux autochtones comme exemple pour apprendre la probabilité; les données autochtones sont disponibles auprès de Statistique Canada. Je n’ai pas encore trouvé une méthode efficace pour autochtoniser l’enseignement du calcul, mais je crois que ce peut être une occasion de tirer nos exemples de situations qui intéressent les peuples autochtones.

En général, je trouve que les mathématiques appliquées sont plus intéressantes pour les étudiant.e.s autochtones que les mathématiques pures. J’ai eu des étudiant.e.s autochtones qui s’ennuient et décrochent quand je parle des mathématiques pures, mais dont l’attention est immédiatement rivetée quand je leur parle des applications qui découlent des dites théories. Je crois que plus de place doit être consacrée aux mathématiques appliquées dans les programmes scolaires, dès l’école primaire jusqu’à l’université. Même les étudiant.e.s qui suivent les cours de calcul multivariable sont peu nombreu.x.ses, tout dans notre système s’y prête. Il serait peut-être mieux, non seulement pour les étudiant.e.s autochtones, mais pour tou.te.s les étudiant.e.s, de repenser l’enseignement des mathématiques comme l’apprentissage de problèmes intéressants et pratiques dont nous pouvons nous servir selon nos besoins.

Avec la modification des programmes de mathématiques, nous devons aussi changer nos méthodes pédagogiques et andragogiques afin de mieux accommoder les étudiant.e.s autochtones. Tou.te.s les étudiant.e.s autochtones sont touché.e.s par les pensionnats, de façon directe ou indirecte, par les expériences douloureuses de leurs familles et des membres de leurs communautés. Il est donc naturel qu’ils et elles soient méfiant.e.s par rapport aux systèmes d’éducation formels. Notre tâche est de surmonter cette méfiance et d’être dignes de leur confiance. De plus, malgré toute l’attention qu’on a portée aux pensionnats autochtones, l’un des problèmes principaux au cœur du système de pensionnat persiste toujours; le sous-financement du système d’éducation fédéral qui est responsable de l’éducation des élèves autochtones dans les réserves. Selon certaines statistiques, les écoles dans les réserves sont financées jusqu’à 30% de moins que les écoles provinciales. Plusieurs écoles des réserves sont aussi isolées, ce qui rend l’embauche des enseignant.e.s et du personnel plus difficile. J’ai vu les écoles dans les réserves qui n’ont pas de laboratoire de science, dans lesquelles les enseignantes avec peu de connaissances mathématiques ou scientifiques récitent simplement les manuels de cours. Il faut faire appel au gouvernement fédéral afin qu’il augmente le financement des écoles dans les réserves pour combler les manques dont elles souffrent en ce moment. D’ici là, il est de notre responsabilité de comprendre les difficultés auxquelles font faces les élèves autochtones à cause de cette déficience dans leurs écoles. J’encourage mes étudiant.e.s à se servir des dispositifs d’aide comme les calculatrices et les aide-mémoires pendant les contrôles. L’une de mes étudiantes a même apporté une table de multiplication et je l’encourage à se l’en servir.

En tant que professeur d’université, j’ai encore beaucoup à apprendre de mes collègues qui oeuvre dans l’enseignement primaire sur les méthodes pédagogiques. Ces méthodes bénéficieront à tou.te.s les élèves, mais surtout aux élèves autochtones. Par exemple, j’ai réussi à mettre en œuvre le format de l’atelier dans mes salles de classe : les étudiant.e.s forment de petits groupes pour résoudre un ensemble de problèmes intéressants dans mes cours de mathématiques des éléments finis. Les universités peuvent aussi aider en réduisant le nombre d’étudiant.e.s dans les classes, surtout pour les cours désignés pour les étudiant.e.s autochtones, ou bien prévoir des groupes de discussion gérés par le personnel professionnel pour augmenter l’interaction des enseignant.e.s les étudiant.e.s, et celles entre les étudiant.e.s eux-mêmes et elles-mêmes.

Les occasions de recherche dans les contextes autochtones abondent pour les mathématicien.ne.s, surtout dans les domaines comme les mathématiques appliquées, pour faire face aux difficultés et aux défis que vivent les peuples autochtones au Canada. Ce type de recherche est aussi un service à la communauté. L’un de mes projets de recherche actuels étudie la structure des jeux de mots et des mots croisés pour utiliser les résultats afin de construire ces jeux dans des langues autochtones. Mon projet implique les mathématiques (la théorie de graphes), la statistique, l’informatique (les théories d’efficience informatique; la programmation; et peut-être l’apprentissage machine), et les études sur les langues autochtones. Les mathématiques impliquées ne sont pas en soi difficiles ou novatrices, mais elles peuvent potentiellement enrichir les communautés autochtones qui se battent pour inverser la perte de leurs langues causée par les pensionnats autochtones. La qualité de l’eau dans les communautés autochtones est un autre sujet sur lequel les chercheur.e.s pourraient porter leur attention.

Au-delà des besoins immédiats des communautés autochtones, il y a des occasions de recherche sur les pratiques culturelles comme les jeux, les arts et les artéfacts, et les autres éléments de la culture matérielle. Or, ceux et celles qui souhaitent s’impliquer dans ces sujets doivent le faire avec un souci d’éthique. Les exigences éthiques sont plus importantes dans les communautés autochtones. Ces exigences sont élaborées dans l’« Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC 2) » et dans les principes PCAP des Premières Nations. Il est important de former des partenariats honnêtes avec les chercheur.e.s autochtones pour toute recherche sur les communautés autochtones. De surcroît, les chercheur.e.s doivent se cautionner du fait que la tradition orale a toujours sa place dans les cultures autochtones et qu’ils et elles doivent consulter les aîné.e.s et les mentor.e.s traditionnel.le.s pour obtenir les informations qui, dans d’autres contextes, se trouvent normalement dans les livres.

Nous pouvons surmonter l’héritage honteux du passé et construire une meilleure nation ensemble. J’espère que les mathématicien.ne.s et les enseignant.e.s de mathématiques se rendent compte du rôle important qu’ils et elles pourraient jouer dans cette entreprise. Au plaisir d’entendre vos anecdotes au sujet de vos projets réussis. Skennen (paix)