Négociations de contrats

Les mathématiques sont l’art de voir la même chose de plus d’une façon. Un nombre complexe est un élément de champ et aussi un vecteur. Une matrice est un élément d’anneau et aussi une fonction linéaire. Un espace topologique, s’il se comporte raisonnablement bien, peut également être considéré comme un anneau de fonctions continues, et ainsi de suite. L’une des compétences que nous apprenons très tôt est de savoir quand changer de lunettes et regarder ce que nous étudions d’un autre point de vue.
Dans les universités canadiennes, les membres du corps enseignant sont des professionnels salariés. Pendant une grande partie de la semaine, nous établissons nos propres horaires. Nous avons un contrôle important et satisfaisant sur nos recherches. Si nous devons travailler le soir ou le week-end, nous le faisons parce que cela fait partie de notre travail, et non parce que nous sommes payés en heures supplémentaires pour le faire. Mais nos positions, elles aussi, sont ambiguës. La plupart d’entre nous sont syndiqués – et, toutes les quelques années, si les négociations contractuelles n’aboutissent pas, nous pouvons nous retrouver en grève.
Mon syndicat est actuellement confronté à cette situation : nous n’avons pas encore atteint la dernière étape des négociations, mais une grève pourrait survenir dans quelques semaines au moment où j’écris ces lignes – et peut-être même au moment où vous lisez ces lignes. Si cela se produit, nos horaires réguliers de cours seront soudainement interrompus. Au lieu de faire un effort supplémentaire pour s’assurer que nos étudiants suivent le cours, nous serons dans la position inconfortable de ne pas pouvoir les aider. Au lieu de prononcer des conférences soigneusement élaborées, nous nous promènerons dans le périmètre du campus universitaire, nous exprimant par des messages de quelques mots, imprimés sur des feuilles de plastique ondulé – un changement surréaliste.
Mais, si l’on regarde les choses sous un certain angle, nous _sommes_ seulement des employés, dans une organisation qui pourrait faire d’autres choses plus facilement si elle nous payait moins. Ce système contradictoire est la manière dont la société établit la valeur de nos services : nous concluons nos conventions collectives de la même manière que les mineurs ou les métallurgistes en raison des aspects de notre emploi que nous avons en commun. Cela semble parfois être une façon étrange de faire les choses, mais c’est le système que nous avons.
Dans certains pays, les professeurs sont des fonctionnaires, dont les salaires sont fixés par la loi. Dans d’autres pays, chacun doit négocier son propre salaire individuellement, et ceux qui ne font pas assez d’efforts prennent du retard. Notre système a ses défauts, mais les autres aussi, je pense. Quel que soit le système, nous devons faire en sorte qu’il fonctionne, même si cela implique de tenir un piquet de grève.