Un petit homme qui n’était pas là
En juin dernier, j’ai écrit au sujet des dérives majeures dans diverses sciences, comme la trisection de l’angle, l’alchimie et le mouvement perpétuel. Récemment, je me suis mis à réfléchir au rôle, en particulier en mathématiques, des dérives mineures : les essais infructueux expliqués par les équipes de recherche qui les ont tentés.
Comme pour un grand volet des mathématiques, nous pouvons remonter au moins jusqu’à cette croisière apocryphe de la confrérie pythagoricienne, au cours de laquelle un certain Hippase a été (ou pas) envoyé faire de la géométrie avec les raies et les baudroies pour avoir prouvé (ou peut-être révélé) que la diagonale d’un carré et son côté n’étaient pas commensurables. Si ce simple petit résultat a tant surpris le comité de titularisation et de survie, c’est qu’il devait être quasiment le premier du genre.
Cette histoire nous mène à penser qu’Hippase (ou peu importe le personnage) a commencé par essayer de prouver le contraire, c’est-à-dire de trouver le rapport (rationnel, car il s’agissait des seuls nombres dont on disposait à l’époque) entre le côté et la diagonale. Cette tentative ayant échoué, il (ou peut-être elle : on dit que la communauté pythagoricienne était mixte) a eu un éclair d’inspiration et a fait ce que des milliers d’entre nous ont fait depuis : il a changé de camp et a déclaré, ou plutôt prouvé, que le jeu n’en valait pas la chandelle. Le reste appartient à l’histoire, et nous en sommes plus riches.
Il est difficile de savoir contre quels problèmes les premiers mathématiciens se butaient jusqu’à ce qu’ils se rendent compte de leur erreur, car jusqu’à récemment, il n’était pas commun de parler de lacunes. Il n’y a pas de note dans les écrits d’Euclide demandant si une âme intelligente pourrait prouver le postulat des parallèles! Néanmoins, lorsque nous regardons la structure du premier livre, avec l’utilisation de ce postulat retardée presque aussi longtemps que possible, nous pensons qu’Euclide a dû réfléchir à la question, même s’il n’a pas fait la percée et n’a pas inventé la géométrie non euclidienne.
Wanzel sur la constructibilité, Galois sur la quintique, Gödel sur la décidabilité : l’histoire des mathématiques est pleine de résultats de ce type. Certains disent : « Si vous ne pouvez pas les vaincre, joignez-vous à eux. » Nous disons : « Si vous ne pouvez pas le prouver, prouvez que vous ne pouvez pas le prouver. »