Le Educational Times et ses contributeurs canadiens

Notes de la SCHPM
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Notes de la SCHPM
Septembre 2025 (tome 57, no. 4)

Les articles de la SCHPM présente des travaux de recherche en histoire et en philosophie des mathématiques à la communauté mathématique élargie. Les auteurs sont membres de la Société canadienne d’histoire et de philosophie des mathématiques (SCHPM). Vos commentaries et suggestions sont le bienvenue; ils peuvent être adressées vers le rédacteur:
Amy Ackerberg-Hastings, chercheuse indépendante (aackerbe@verizon.net)
Nicolas Fillion, Simon Fraser University (nfillion@sfu.ca)

Afin d’alléger le texte, le masculin est employé sans discrimination et désigne aussi bien les femmes que les hommes.

 

Au XIXe siècle, peu de publications offraient un espace où les mathématiciens amateurs et professionnels pouvaient se confronter à des problèmes complexes et mener des débats intellectuels. On trouve l’une de ces plateformes dans la section consacrée aux problèmes mathématiques du journal The Educational Times and Journal of the College of Preceptors. L’algébriste anglais William Clifford affirmait que The Educational Times encourageait davantage la recherche mathématique originale que tout autre périodique européen [6]. Bien que la majorité des contributions provenaient d’auteurs européens, on trouve des contributions provenant du monde entier, y compris une modeste participation du Canada, décrite plus loin dans cet article.

Fig1-May1861 Educational Times
Figure 1. La couverture du numéro de mai 1861 de Educational Times. University College London.

The Educational Times: A Stamped Monthly Journal of Education, Science, and Literature a commencé à être publié en octobre 1847. En avril 1861, la revue a été officiellement adoptée par une organisation pédagogique comme publication officielle et rebaptisée The Educational Times and Journal of the College of Preceptors (ET). Le journal a fonctionné sous ce titre jusqu’en 1923, date à laquelle il est devenu Education Today. Le College of Preceptors, fondé à Londres en 1846 et doté d’une charte royale en 1849, s’efforçait de promouvoir un apprentissage solide, de susciter l’intérêt de la classe moyenne pour l’éducation et de fournir les moyens d’améliorer le statut et les qualifications des enseignants. La revue contenait des articles pédagogiques, des avis sur les bourses disponibles, des listes des candidats ayant réussi les examens organisés par le Collège, des avis de postes vacants pour les enseignants et les gouvernantes, ainsi que des nouvelles des sociétés scientifiques, des critiques de livres incisives et des publicités pour des manuels scolaires. Comme dans de nombreuses revues contemporaines, la section consacrée aux problèmes mathématiques et à leurs solutions était peut-être la plus intéressante pour beaucoup de ses lecteurs.

Les problèmes mathématiques ont été présentés pour la première fois aux lecteurs d’ET en mai 1848. En mars 1849, une rubrique mathématique régulière a été créée, et les problèmes numérotés séquentiellement ont fait leur apparition en août de la même année. Environ 18 575 problèmes avaient été publiés en 1918 [2], avec des solutions proposées pour près de 73 % d’entre eux.

À une époque où la plupart des manuels de mathématiques ne proposaient pas de recueils de problèmes variés, ET s’est révélé être une ressource inestimable pour les étudiants de mathématiques, les professionnels et les passionnés à la recherche d’exercices et de défis mathématiques. En Angleterre, de nombreux lecteurs et contributeurs ont été attirés par la section mathématique d’ET, y compris ceux qui, pour des raisons sociales, religieuses ou institutionnelles, étaient exclus des structures académiques dominantes d’Oxford ou de Cambridge.

Au fur et à mesure que la revue évoluait, la complexité de nombreuses contributions augmentait également. Bien que les premiers problèmes se concentraient sur la géométrie euclidienne, les sections coniques, la trigonométrie, la géométrie analytique et la résolution d’équations algébriques, la section mathématique a rapidement commencé à inclure des domaines plus avancés tels que les probabilités, le calcul et la mécanique de base. Environ 18,6 % des solutions, parfois la seule solution soumise, étaient attribuées à leur auteur initial. Sur les quelque 1 880 contributeurs, environ 13 % utilisaient des pseudonymes. La majorité des contributeurs venaient d’Angleterre (62,24 %), d’Inde (7,74 %), d’Irlande (7,16 %), de France (5,56 %) et des États-Unis (5,29 %).

La bonne gestion de la section consacrée aux problèmes a sans aucun doute contribué à son succès. Les premiers rédacteurs en chef du département mathématique d’ET étaient Richard Wilson et James Wharton, du St. John’s College de Cambridge. Ils ont été remplacés par Stephen Watson, de Haydon Bridge, dans le Northumberland, à la fin des années 1850. En 1862, William John Clarke Miller est devenu rédacteur en chef. À l’époque, il était professeur de mathématiques au Huddersfield College, dans le Yorkshire. En 1876, Miller s’installa à Londres pour devenir registraire, secrétaire et statisticien du General Medical Council. Il resta rédacteur en chef du département mathématique d’ET jusqu’en 1897. Miller fut remplacé par Daniel Biddle, médecin et membre de la Royal Statistical Society. Constance Marks, diplômée de l’université de Londres, fut la dernière rédactrice en chef du département mathématique d’ET [3].

Figure 2. Exemples de problèmes proposés par les trois contributeurs canadiens d’ET. Woolly Mathematics.

La section mathématique de l’ET étant très populaire, mais l’espace qui lui était réservé très limité, Miller prit des mesures pour remédier à la situation. De 1862 à 1918, les problèmes et les solutions parus dans l’ET furent republiés deux fois par an, accompagnés de solutions supplémentaires et d’articles mathématiques, dans Mathematical Questions with Their Solutions from the Educational Times (MQ). De plus, MQ contenait les solutions à de nombreux problèmes qui, faute de place, n’avaient pas été publiés dans ET. Lorsque Marks devint rédactrice en chef en 1901, elle ajouta des index par sujet et par auteur à plusieurs volumes de MQ, ainsi que de courts articles et des poèmes. De plus, les contributions des femmes augmentèrent considérablement pendant la rédaction de Marks, un tiers des articles étant rédigés par des femmes [3].

De nombreux universitaires éminents ont contribué à ET. Les premières publications de G. H. Hardy et Bertrand Russell appeared as solutions to problems in ET. sont apparues sous forme de solutions à des problèmes dans ET. Parmi les autres contributeurs éminents du Royaume-Uni et d’Irlande, on peut citer John Couch Adams, Harry Bateman, William Burnside, Arthur Cayley, Augustus De Morgan, Charles Dodgson, Henry Dudeney, Francis Galton, Thomas Kirkman, Joseph Larmor, James Clerk Maxwell, L. J. Mordell, L. J. Rogers, J. J. Sylvester, Peter Tait, et William Thomson (Lord Kelvin).

La participation de l’Europe continentale comprenait des contributions de l’Autriche, de la Belgique, de la France, de l’Allemagne, de la Russie, de l’Espagne, de la Suisse et des Pays-Bas. Parmi les contributeurs les plus notables figuraient Eugène Catalan, Gaston Darboux, Jacques Hadamard, Édouard Lucas, et Jacob Steiner. Des contributions ont également été reçues d’Australie, de Ceylan, de Hong Kong, d’Inde, de Malaisie, de Maurice et de Nouvelle-Zélande. Srinivasa Ramanujan était l’un des 131 contributeurs indiens.

En Amérique du Nord, la plupart des contributions provenaient des États-Unis, où figuraient notamment Benjamin Finkel, Asaph Hall, Artemas Martin, Benjamin Peirce, et Christine Ladd. Nous trouvons également quelques contributeurs ayant des liens avec le Canada. Trois contributeurs qui ont participé alors qu’ils vivaient au Canada étaient Raymond Clare Archibald, John Cadenhead Glashan et Angus MacMurchy. Parmi ces trois personnes, seul Archibald occupait un poste universitaire.

Figure 3. Raymond Clare Archibald. MacTutor.

Raymond Clare Archibald (1875–1955) est né à South Branch, dans le comté de Colchester, en Nouvelle-Écosse. Il a été scolarisé à domicile jusqu’à l’âge de 10 ans. Sa famille a déménagé à Sackville, au Nouveau-Brunswick, où il a fréquenté la Mount Allison Academy for Boys avant de faire son entrée au Mount Allison College à l’âge de 13 ans. Il a obtenu son diplôme avec mention, a enseigné pendant un an à Mount Allison, puis s’est inscrit au programme d’études supérieures de Harvard, où il a obtenu sa maîtrise. Il a passé un an à l’université Humboldt de Berlin avant de rejoindre l’université de Strasbourg, où il a obtenu son doctorat en 1900 [5]. Il a commencé à contribuer à ET pendant son séjour en Europe.

Lorsque Archibald revint au Canada en 1900, il enseigna les mathématiques au Mount Allison Ladies College jusqu’en 1907. Il passa ensuite un an à enseigner à l’Université Acadia avant d’accepter un poste à l’Université Brown à Providence, dans le Rhode Island. Il passa les 35 années suivantes à Brown, où il rédigea plusieurs livres et articles sur l’histoire des mathématiques et les études bibliographiques. Il a été président de la Mathematical Association of America et bibliothécaire de l’American Mathematical Society pendant 16 ans. Après avoir pris sa retraite de Brown en 1943, il est retourné à Mount Allison pour s’occuper de la bibliothèque qu’il avait fondée en 1905 en l’honneur de sa mère. Les contributions d’Archibald à ET totalisent 23 problèmes posés et 10 solutions.

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Figure 4. La page couverture de Arithmetic for High Schools de Glashan. Internet Archive.

John Cadenhead Glashan (1844–1932), originaire de Strathroy, en Ontario, a été inspecteur en chef des écoles publiques d’Ottawa de 1876 à 1910. Il est l’auteur des ouvrages populaires Arithmetic for High Schools and Collegiate Institutions (Toronto, 1890) et Public School Arithmetic and Mensuration (Toronto, 1894). Les contributions de Glashan à ET ont été publiées entre 1875 et 1879. Il a résolu deux problèmes et en a proposé deux qui sont restés sans solution. Entre 1878 et 1901, il a publié huit articles dans l’American Journal of Mathematics. En 1902, il a été élu membre de la Société royale du Canada, la première organisation professionnelle de scientifiques au Canada. Il a publié quatre articles dans les Délibérations et mémoires de la Société royale du Canada (Proceedings of the Royal Society of Canada) [7, p. 363]. En 1924, il a proposé de faire don de sa bibliothèque mathématique à l’American Mathematical Society si celle-ci prenait en charge les frais de transport, mais son offre n’a pas été acceptée.

Figure 5. Avis de décès de MacMurchy. Find a Grave.

Angus MacMurchy (1860–1931) est né à Toronto et a fréquenté la Toronto Grammar School et l’Université de Toronto, où il a obtenu un diplôme de première classe en mathématiques en 1882. Il a été admis au barreau en 1885. Il a travaillé comme avocat pour le district ontarien du Chemin de fer Canadien Pacifique et a été nommé au Conseil du Roi en 1908. Il a été élu membre du conseil de la Law Society of Upper Canada. Il est l’auteur d’ouvrages sur le droit ferroviaire, ainsi que d’une biographie sur deux frères éminents du XIXe siècle à Toronto [4]. Il a siégé au conseil d’administration de l’Université de Toronto et a été élu président de la fédération des anciens étudiants de l’université. Chaque année, la faculté de droit de l’université décerne la médaille d’or Angus MacMurchy à l’élève de la promotion ayant obtenu la meilleure moyenne cumulative. MacMurchy a activement contribué à ET de 1878 à 1893, posant dix problèmes et en résolvant seize.

L’absence de participation canadienne généralisée peut s’expliquer en partie par l’observation d’Archibald et Charbonneau selon laquelle les mathématiques en étaient à leurs balbutiements dans la plupart des établissements canadiens dans la seconde moitié du XIXe siècle, et très peu de recherches mathématiques ont été menées au Canada avant le congrès international qui s’est tenu à Toronto en 1924 [1, pp. 171, 174]. Il est toutefois juste d’affirmer que les contributions canadiennes à ET ont constitué un petit pas vers le professionnalisme des mathématiques au Canada, qui allait plus tard s’épanouir.

Références

[1] Archibald, Thomas, and Louis Charbonneau. (1995) Mathematics in Canada before 1945: A preliminary survey. In Mathematics in Canada, edited by Peter Fillmore, vol. 1, 1–90. Ottawa: Canadian Mathematical Society. Reprinted (2005) in Mathematics and the Historian’s Craft: The Kenneth O. May Lectures, edited by Glen Van Brummelen and Michael Kinyon, 141–182. CMS Books in Mathematics. New York: Springer.

[2] Delve, Janet. (1994) The development of the mathematical department of the Educational Times from 1847 to 1862. PhD Thesis, Middlesex University.

[3] Despeaux, Sloan E. (2017) Constance Marks and the Educational Times. In Women in Mathematics, edited by Janet L. Beery, et al., 219–229. Cham, Switzerland: Springer.

[4] MacMurchy, Angus. (1918) Sketch of the life and times of Joseph Curran Morrison and Angus Morrison, Presidents of St. Andrew’s Society, 1850–54. Toronto.

[5] Tattersall, J. J. and S. L. McMurran. (2004) Raymond Clare Archibald: A Euterpean Historian of Mathematics. New England Mathematics Journal 36(2), 31–41.

[6] A Testimonial to Mr. W. J. C. Miller. (1897) Educational Times 50, 331.

[7] Zitarelli, David E. (2019) A History of Mathematics in the United States and Canada. Vol. 1. Providence, RI: American Mathematical Society.

Jim Tattersall, professeur émérite de mathématiques au Providence College, dans le Rhode Island, et Shawn McMurran, professeur de mathématiques à l’université d’État de Californie, à San Bernardino, collaborent depuis plus de trente ans à des projets explorant l’histoire des mathématiques. Leur intérêt pour The Educational Times est né lors de recherches sur les femmes du Girton College, à Cambridge, et en fouillant dans les archives R. C. Archibald de l’université Brown. Depuis, ils ont contribué à la base de données en ligne de The Educational Times.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : tat@providence.edu
Envoyer un courriel à l’auteur(e) : shawn.mcmurran@csusb.edu
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