Richard Guy était un éducateur dans l’âme et un mentor pour des étudiants de tous les âges. Il considérait que ses efforts dans cette direction sont au moins aussi importants que ses contributions à la recherche. Il a supervisé des étudiants gradués jusqu’en 2002, alors qu’il avait 86 ans, et des sous-gradués jusqu’à l’âge de 101 ans. Même centenaire, Richard participait aux réunions hebdomadaires des étudiants et professeurs de Calgary en théorie des nombres, pendant lesquelles il énonçait des problèmes, autant difficiles que récréationnels, et inévitablement mais avec gentillesse tentait de convaincre un étudiant de poursuivre l’étude d’un problème plus loin ou de faire des calculs.
Jusqu’à 90 ans, Richard était assidu aux Calgary Math Nites, un programme hebdomadaire d’enrichisement où professeurs et étudiants gradués plongeaient les jeunes étudiants de la 7e à la 10e année dans le monde des découvertes en mathématiques et les incitaient même à résoudre des problèmes. Ce fut l’occasion pour Richard de rencontrer deux de ses plus talentueux protégés qui sont demeurés en contact et ont collaboré avec lui jusqu’à la fin: Alex Fink, maintenant professeur à l’Université Queen Mary de Londres, et Julian Salazar, qui a obtenu un BA en mathématiques avec une deuxième concentration en informatique à Harvard en 2017 et qui s’est engagé dans une carrière sur l’apprentissage automatique chez Amazon.
Alex Fink commença à aller aux réunions de Math Nites lorsqu’il était en quatrième année scolaire. Lors de ses études au secondaire (high school) Richard l’invitait à assister à son cours de lecture sur la théorie combinatoire des jeux. Fink enchaîna en se préparant pour les compétitions Putnam avec l’aide de Richard, puis obtint des subventions CRSNG (USR), pour faire de la recherche sous la supervision de Richard. À la suite de ses études sous-graduées à l’Université de Calgary, il demeura en contact avec Richard en personne et via le courrier électronique. “ Il y avait à ce point beaucoup de choses à finaliser ”, Fink affirme. Entre 2006 et 2017, lui et Richard ont écrit trois articles de recherche conjoints [Fink and Guy 07, Fink et al. 08, Fink and Guy 17] et deux articles de synthèse [Fink et al. 06, Fink and Guy 09]. Fink paraphrase quelques-unes des leçons apprises de Richard au fil du temps:
Richard parle avec un étudiant lors des célébration de la fête de ses 100 ans
“ Aies de nombreuses balles en l’air: c’est bon d’avoir un endroit où se diriger lorsque tu frappes un mur avec le projet A, alors que de toute façon ton subconscient a déjà commencé à travailler sur le projet B. ”
“Ecris tout. La façon la plus facile d’éditer, c’est de couper.”
“ Assiste à des conférences même si tu n’as pas tout le contexte requis: ce n’est pas du gaspillage, tu absorbes une partie du langage et tu es mieux préparé pour la prochaine. ”
“ Fais attention pour ne pas faire (même impliciement) des affirmations qui peuvent aliéner tes auditeurs. Donc ne jamais dire ‘ c’est bien connu ’, mais toujours dire ‘ c’est bien connu à ceux qui vraiment le connaissent bien ’. ”
Julian Salazar se rappelle s’être senti le bienvenu à la suite de la lecture du premier message électronique de Richard et décrit ses rencontres comme socratiques: “ Il (Richard) ne fait que décrire patiemment ce à quoi il pense; je lui pose des questions; il me pose les mêmes questions. Après 1 an ou 2 de discussions informelles, il a posé une question dont j’ai trouvé la réponse (le Théorème 7) sur le train de retour. Ce moment, qui consiste à trouver quelque chose de nouveau, a joué un grand rôle dans ma vie d’adulte. ”
Le travail que Salazar mentionne est [Guy et al. 14], publié quand il avait 20 ans et Richard en avait 98. Richard a soutenu financièrement Salazar pour assister à MathFest et y donner un exposé. Il amena Salazar pour dîner avec Noam Elkies qui devint le directeur de la thèse senior de Salazar à Harvard. Salazar mentionne que Richard s’implique dans des problèmes parce qu’ils sont intéressants; pas parce qu’ils sont techniquement difficiles ou à la mode. Il doit à Richard la leçon: “Fais ce qui te plaît, indépendamment des identifiants ou du chemin par défaut”.
Esquisses biographiques
Alex Fink a un poste de “Reader” en mathématiques pures à Queen Mary U. à Londres. Ses recherches portent sur la combinatoire algébrique, avec une emphase sur les applications de l’algèbre commutative, de la géométrie algébrique, de même que la théorie des matroïdes et la géométrie tropicale. Il a obenu un BSc (Honours) en mathématiques pures et en informatique de l’Université de Calgary en 2006 et un PhD à l’Université de Californie à Berkeley en 2010.
Julian Salazar est un “Machine Learning Scientist” (apprentissage automatique) chez Amazon AWS AI, travaillant sur l’apprentissage en profondeur du langage humain, en particulier sur la reconnaissance du langage (ASR) et sur le traitement du language naturel. D’un point de vue académique, ses intérêts sont à l’intersection des mathématiques pures et des autres domaines, comme l’informatique, la neuroscience et la théorie des cordes. Il a grandi à Calgary.
Références
[Fink et al 06] A. Fink, D. Kisman and R. K. Guy, Patulous pegboard polygons, 2006, for Gathering for Gardner 7, in Mathematical Wizardry for a Gardner, A K Peters, 2009.
[Fink et al 08] A. Fink, R. K. Guy and M. Krusemeyer, Partitions with parts occurring at most thrice. Contrib. Discrete Math. 3 (2008), no. 2, 76-114.
[Fink and Guy 07] A. Fink and R. K. Guy, The number-pad game, Coll. Math. J. 38 (2007), 260-264.
[Fink and Guy 09] A. Fink and R. K. Guy, Richard Rick’s tricky six puzzle: S5 sits specially in S6. Math. Mag. 82 (2009), no. 2, 83-102.
[Fink and Guy 17] A. Fink and R. K. Guy, The outercoarseness of the n-cube. Contrib. Discrete Math. 12 (2017), no. 2, 22-32.
[Guy et al 14] R. K. Guy, T. Khovanova and J. Salazar, Conway’s subprime Fibonacci sequences. Math. Mag. 87 (2014), no. 5, 323-337.