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L’Université Laurentienne est aux prises avec de graves difficultés financières. Elle a alors décidé d’abolir son programme de mathématiques dans le cadre de ce qui est dans le fond une procédure de faillite. Que doit-on en faire?

L’idée qu’une université pourrait faire faillite pourrait paraître surprenante. Mais de toute évidence, c’est vrai. Les universités peuvent s’endetter et, à moins que vous glissiez simplement un billet de 20 à un.e ami.e qui a oublié son portefeuille, la dette entraîne aussi la question de l’échéance de remboursement. On dit que suivant le conseil de Maynard Kaynes, le King’s College à Cambridge a hypothéqué King’s College Chapel et par un investissement judicieux de ses bénéfices il a sécurisé l’état financier du collège. (Si non è vero, è ben trovato!) Or on se demande quel recours les investisseurs auraient eu si le collège avait fait faillite. Ils auraient sans doute eu des difficultés juridiques et pratiques à transformer la chapelle en usine ou en salle de danse. De même, les pierres d’assise d’une université moderne ont peu d’usages alternatifs et sont le plus souvent encombrées des restrictions de zonage; à la limite, un créancier pourrait louer l’édifice.  Cela dit, il est très rare qu’une université en arrive là.

Supposons toutefois que les troubles financiers d’une université aient aussi graves pour que des coupures drastiques soient nécessaires : quelles seront les options? Il est facile de pointer du doigt un autre programme et de dire « couper ceci! », n’importe quel département peut jouer à ce jeu. Et bien que nous puissions penser que certains des programmes spécialisés des universités modernes jouent un rôle marginal dans la fonction traditionnelle de l’université, ce sont des programmes qui ont tendance à attirer un plus grand nombre d’étudiant.e.s – ou du financement extérieur- et payent leur part. C’est ainsi qu’ils se sont maintenus.

Une option raisonnable pourrait être des compressions budgétaires appliquées à tous les programmes- or de nombreuses disciplines spécialisées ont des programmes définis avec un nombre très limité de cours qui sont essentiels à leur survie. Qui plus est, une entité externe a normalement approuvé le programme. Une compression de 25% des cours pourrait alors gravement menacer la viabilité du programme. Certes, on pourrait dire la même chose des programmes plus traditionnels : ce n’est tout simplement pas aussi évident. Abolir des programmes n’est pas une option agréable : et cela est d’autant plus vrai pour les programmes en mathématiques.

Qu’y a-t-il de si exceptionnel aux mathématiques? Un institut d’études supérieures pourrait continuer à exister sans programme de mathématiques. En Nouvelle-Écosse, par exemple, l’Atlantic School of Theology, le Nova Scotia College of Art and Design et le Gaelic College of Cape Breton s’en sortent très bien sans mathématiques. Mais voyez-vous la tendance? Ce sont des institutions d’enseignement limitées à certaines disciplines quoiqu’importantes. Même la petite Université Sainte-Anne, qui ne compte que 400 étudiant.e.s à temps plein, offre dix cours de mathématiques dans le cadre d’un baccalauréat en science ou en éducation. Sans les mathématiques une institution pourrait seulement offrir une gamme strictement limitée de programmes. Elle pourrait former des poètes, des coiffeurs.euses, des mécaniques ou des musicien.nes exceptionnel.les; or, surtout au XXIe siècle, on pourrait à peine qualifier cette institution d’université.

Il est certainement possible de garder quelques enseignant.e.s en mathématique pour les cours de service, sans offrir des cours avancés ou un programme de diplôme. Mais cela se relève d’une fausse économie. La plupart des membres de la SMC savent que leurs charges de cours constituent, en grande partie, de calcul, d’algèbre et d’autres cours de service, on l’accepte. Mais varier cela avec ne serait ce qu’un cours avancé garde les enseignant.e.s mis.es à jour- et cela, à peu de frais supplémentaire, donne aux étudiant.e.s de n’importe quel département l’option précieuse d’une mineure, voire d’une majeure en mathématiques. Il est difficile d’imaginer qu’une institution sans cette option puisse attirer de meilleur.e.s professeur.e.s ou de meilleur.e.s étudiant.e.s.

Nous ne pouvons pas offrir une solution à des difficultés financières de l’Université Laurentienne. Difficultés qui sont bien évidemment très graves. Il me paraît toutefois qu’en abolissant les mathématiques (plus que d’autres matières), l’université se met dans une situation dangereuse qui sera impossible à maintenir et dont il est difficile de se remettre.