L’impact de l’administration Trump sur les mathématiques
Dans le but de simplifier la lecture, le masculin est utilisé sans intention discriminatoire.
Il serait difficile d’ignorer que le gouvernement actuel des États-Unis a mis en œuvre de nombreuses politiques sans précédent, qui ont des répercussions considérables sur les individus et les groupes. Les mathématiciens ne sont certainement pas épargnés par les répercussions individuelles, dont beaucoup sont largement médiatisées. Je me concentrerai ici sur les répercussions auxquelles nous sommes confrontés en tant que mathématiciens : les répercussions sur la communauté scientifique en général et les répercussions spécifiques sur les mathématiques.
Conférences aux États-Unis
Au moins un article précédent dans les Notes traitait de la réticence actuelle de l’auteur à participer à des conférences aux États-Unis. La décision de l’auteur était fondée sur de nombreux témoignages anecdotiques de personnes ayant été détenues par des agents de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), souvent pendant de longues périodes, sur la base de preuves limitées ou inexistantes, voire sans aucune accusation réelle d’infraction.
Le dernier Congrès international des mathématiciens (ICM, International Congress of Mathematicians en anglais) qui s’est tenu en Amérique du Nord a eu lieu à Berkeley en 1986. Le prochain ICM, prévu à Philadelphie 40 ans plus tard, en 2026, sera donc probablement le seul à se dérouler en Amérique du Nord pendant la carrière de la plupart des mathématiciens actuellement en activité. Le fait que de nombreux membres de la communauté mathématique canadienne puissent être réticents à participer à ce rassemblement n’est pas une mince affaire.
De manière plus générale, la taille et la portée relatives des communautés mathématiques au Canada et aux États-Unis font que, pour de nombreux mathématiciens canadiens, la plupart des conférences les plus accessibles (en termes de frais de déplacement, de temps de trajet et de décalage horaire) dans nos domaines de recherche ont lieu aux États-Unis. Si nous ne sommes pas disposés à assister à ces conférences ou à y envoyer nos étudiants, soit nos liens avec une partie importante de nos réseaux universitaires s’affaiblissent, soit les coûts de diffusion de nos recherches augmentent considérablement.
Budget et interférence de la National Science Foundation
Aux États-Unis, la plupart des fonds destinés à la recherche mathématique proviennent de la Fondation nationale des sciences (NSF, National Science Foundation en anglais). Le 21 juillet, une lettre ouverte a été envoyée par le président de la section locale 3403 de l’American Federation of Government Employees (AFGE) à la commission de la Chambre des représentants chargée des sciences, de l’espace et de la technologie. Ce syndicat représente environ les deux tiers des 1 500 employés de la NSF, et la lettre a été signée par 149 d’entre eux, soit une proportion importante du personnel de la NSF. Elle soulève un certain nombre de préoccupations sérieuses concernant le financement de la NSF :
- La lettre indique qu’entre avril et mai 2025, le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE, Department of Government Efficiency en anglais) a exigé que la NSF mette fin à plus de 1 600 subventions actives. Les critères sur lesquels ces décisions ont été prises n’ont pas été divulgués. D’autres sources ont indiqué que des mots clés tels que « équitable » ou « minorité » associés à certaines subventions pourraient être à l’origine de ces coupes, et que la manière dont ces mots pourraient être utilisés dans des contextes scientifiques sans rapport avec la recherche sur l’équité n’a peut-être même pas été prise en considération. Les subventions annulées s’élevaient à plus d’un milliard de dollars américains.
- La lettre indique qu’un examen idéologique des demandes de subvention par des responsables politiques est en cours et interfère avec le processus d’évaluation par les pairs destiné à évaluer les demandes de subvention sur la base de leur mérite scientifique.
- La lettre indique que l’allocation financière proposée pour la NSF pour 2026 représente une réduction de 56 % du budget de la NSF (qui passe de 8,8 milliards de dollars à 3,9 milliards de dollars), dont plus de 70 % des fonds destinés aux programmes éducatifs. Elle affirme que ces réductions proposées supprimeraient le financement de plus de 250 000 chercheurs et étudiants.
- Elle décrit diverses façons dont le travail du personnel de la NSF a été rendu plus difficile, ce qui a nui à sa capacité de soutenir les chercheurs.
Une décision récente de la Cour suprême a statué que le gouvernement était autorisé à retenir le financement des subventions annulées.
Renseignements supplémentaires : https://www.urban.org/urban-wire/nsf-has-canceled-more-1500-grants-nearly-90-percent-were-related-dei
Démission massive du conseil d’administration de Fulbright
Le 11 juin, après avoir tenté à plusieurs reprises de résoudre leurs préoccupations verbalement et par écrit avec les membres de l’administration Trump, le conseil d’administration des bourses Fulbright a voté sa démission collective et publié une déclaration publique expliquant sa décision. Dans cette déclaration, il affirme que :
- Leurs tentatives pour faire part de leurs préoccupations à l’administration n’ont reçu aucune réponse ni aucun accusé de réception.
- Un nombre important de bourses qui avaient été approuvées à l’issue du processus d’évaluation fondé sur le mérite ont ensuite été refusées par les administrateurs gouvernementaux.
- En outre, plus de 1 200 bénéficiaires étrangers voient leur demande soumise à un examen supplémentaire non autorisé par le gouvernement.
Le conseil d’administration a estimé que continuer à exercer ses fonctions dans ces circonstances reviendrait à légitimer ce qu’il considérait comme des actions illégales et injustifiées de la part de l’administration Trump, et a donc choisi de démissionner.
Source : https://substack.com/inbox/post/165673358?r=17cemi (couvert dans les actualités, par exemple, par https://www.msnbc.com/top-stories/latest/fulbright-board-resigns-scholarship-trump-quit-rcna212395)
Campagnes de relations gouvernementales de l’AMS, y compris les problèmes liés aux statistiques fédérales
La Société mathématique américaine (AMS, American Mathematical Society en anglais) dispose d’un bureau des relations gouvernementales qui encourage les mathématiciens à faire pression sur le gouvernement concernant les questions qui ont un impact sur la communauté mathématique, et leur suggère des questions spécifiques sur lesquelles se concentrer. Les priorités actuelles du bureau des relations gouvernementales de l’AMS sont les suivantes :
- Annuler ou au moins modérer la réduction proposée de 56 % du budget de la NSF en 2026.
- Faire connaître le travail de l’Association américaine des statistiques (ASA, American Statistical Association en anglais), qui suit les changements apportés aux programmes gouvernementaux qui collectent des données publiques et produisent des statistiques fédérales. Un rapport récent de l’ASA note, par exemple, que le prochain recensement américain a reçu pour mandat d’exclure pour la première fois « les personnes qui se trouvent illégalement dans notre pays ». Un autre rapport observe que le directeur du Bureau des statistiques du travail (BLS, Bureau of Labor Statistics en anglais) a récemment été congédié par Trump en raison des chiffres relatifs à l’emploi, que Trump a qualifiés de « TRUQUÉS » afin de nuire à son image et à celle des républicains. La Maison-Blanche a ensuite publié un article remettant en cause l’intégrité du BLS.
- En juin, l’AMS a été l’une des 20 organisations scientifiques à signer une lettre commune adressée au gouvernement pour soutenir le travail des fonctionnaires dans le maintien des normes relatives à des agences telles que la NSF, et s’opposer aux efforts visant à politiser ces postes ou à les rendre plus temporaires.
Source : https://www.ams.org/government
Impacts sur l’avenir
Les divers problèmes décrits ci-dessus sont susceptibles d’avoir une incidence importante et durable sur la communauté scientifique américaine, et plus particulièrement sur la communauté mathématique. Les orientations de recherche qui ne sont plus financées ralentiront bien sûr les progrès scientifiques sur des problèmes spécifiques, mais l’incidence la plus importante pourrait concerner le personnel scientifique.
Au début de l’année, il a été annoncé que le financement d’au moins une douzaine de programmes REU (Expériences de recherche pour les étudiants de premier cycle; Research Experiences for Undergraduates en anglais) financés par la NSF avait été réduit. L’équivalent le plus proche de ces programmes au Canada est le programme BRPC (Bourses de recherche de 1er cycle) du CRSNG, mais une différence particulièrement importante pour comprendre l’ampleur de cette réduction est que chaque programme REU comprend et finance un certain nombre d’étudiant, généralement entre 8 et 10.
Les difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants internationaux qui souhaitent étudier aux États-Unis ont atteint des niveaux sans précédent, entre les restrictions de voyage, la difficulté accrue d’obtenir des visas et la réduction des aides accordées aux étudiants issus de milieux défavorisés.
Peut-être plus important encore, les efforts déployés par le gouvernement Trump pour détruire tous les programmes visant à encourager ou à soutenir l’équité ou la diversité risquent de nous ramener à une époque où les mathématiciens américains étaient presque exclusivement des hommes blancs privilégiés.
