Mon Coxeter

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Article de couverture
Septembre 2024 (tome 56, no. 4)

En 1984, alors que j’étais en huitième année, je me souviens avec émotion d’une visite à la librairie Second-Hand Technical, un magasin très prisé qui regorgeait de manuels scolaires obsolètes. Cette librairie était pour moi une véritable mine d’or. Un jour, je suis tombé sur une traduction russe de « Geometry Revisited » de H. S. M. Coxeter et S. L. Greitzer. J’étais ravi de l’avoir trouvée, et encore plus ravi lorsque j’ai découvert qu’elle était disponible pour l’équivalent de 10 cents seulement. Même pour un élève soviétique du secondaire, le prix était acceptable.

En tant qu’élève du secondaire, j’ai trouvé « Geometry Revisited » très accessible. J’ai été ravi de découvrir qu’il fournissait une pléthore de techniques pour résoudre des problèmes de géométrie complexes souvent rencontrés lors des Olympiades de mathématiques. Cependant, en me plongeant dans son contenu, je me suis vite rendu compte que le livre offrait bien plus qu’une simple ressource de résolution de problèmes. « Geometry Revisited » a complètement transformé mon point de vue sur la géométrie, m’amenant à réfléchir aux interconnexions complexes entre les différentes branches des mathématiques. Cette nouvelle appréciation du sujet m’a ouvert un tout nouveau monde de compréhension.

L’intention des auteurs, telle qu’énoncée dans la préface, de combattre l’idée répandue selon laquelle la géométrie est en quelque sorte en dehors du courant principal des mathématiques, a trouvé un écho profond en moi. Ils ont souligné que la géométrie n’est pas seulement utile mais absolument essentielle pour les scientifiques et les mathématiciens pratiques, remettant en cause la croyance selon laquelle l’analyse ou la théorie des ensembles devraient l’éclipser. Ce message a touché une corde sensible en moi, surtout si l’on considère le rôle plus central que jouait la géométrie dans le système éducatif soviétique de l’époque, par rapport à l’approche éducative des États-Unis. Le message du livre est resté remarquablement pertinent malgré les différences entre les systèmes éducatifs.

J’ai été profondément fasciné par les auteurs. En effectuant des recherches supplémentaires, j’ai découvert que Samuel Gleitzer avait joué un rôle essentiel en tant que l’un des membres fondateurs de l’Olympiade américaine de mathématiques. De plus, j’ai appris qu’il s’était consacré avec ferveur à la défense des programmes visant à encourager les capacités mathématiques des élèves du secondaire dans tous les États-Unis.

J’ai été véritablement captivé par le travail du deuxième auteur, H.S.M. Coxeter. Son nom semble avoir été étroitement mêlé à mes travaux universitaires ultérieurs, que ce soit pour étudier les complexités des groupes de Coxeter, analyser les diagrammes de Coxeter ou démêler les subtilités de l’algorithme de Todd-Coxeter. Ses contributions scientifiques étaient d’une telle ampleur que je trouvais remarquable qu’une personne d’une importance aussi monumentale ait également pris le temps de coécrire un manuel d’introduction à la géométrie. En 1984, j’ai été totalement captivé par tous les aspects de Coxeter, de ses travaux novateurs à son lieu de travail captivant à l’université de Toronto. Bien que ma connaissance du Canada ait été limitée à l’époque, le pays est devenu synonyme de Coxeter, gravé à jamais dans mon esprit comme faisant partie intégrante de son travail. Si je ne savais pratiquement rien de Coxeter en tant que personne, je l’admirais profondément en tant que mathématicien.

En 2004, j’ai entamé mon parcours à l’université de Toronto, sachant que je venais de manquer l’occasion de rencontrer mon modèle mathématique, Coxeter, qui est décédé en 2003 à l’âge remarquable de quatre-vingt-seize ans. Alors que je m’intégrais à mon nouvel environnement universitaire, j’ai absorbé avec enthousiasme les récits de mes collègues qui l’avaient connu et je me suis plongé dans les articles de journaux qui rendaient hommage à son héritage. Par ces voies, j’ai découvert le sens de l’humour britannique attachant de Coxeter, son engagement inébranlable en faveur d’un mode de vie sain qui a manifestement porté ses fruits, et sa profonde adoration pour les mathématiques dans leur ensemble, avec un accent particulier sur la géométrie. J’ai également eu un aperçu de sa mission passionnée pour la sauvegarde de la géométrie classique en tant que point focal intégral dans le domaine des mathématiques.

Et, vingt ans plus tard, son héritage se perpétue. On le retrouve partout dans mon université. Son exquise collection de polyèdres est exposée au département de mathématiques. Son piano de concert et un célèbre portrait de lui jouant du piano lorsqu’il était enfant (peint par sa mère) se trouvent au Fields Institute.

Mais, plus important encore, son héritage est chéri au sein de notre Société. Les contributions de Coxeter à la SMC sont nombreuses et influentes. Il a notamment été le septième président de la société de 1965 à 1967, ainsi que vice-président de 1963 à 1965. De plus, il a présidé les actes du premier congrès, a fait partie du comité des publications en 1957 et a été membre du conseil d’administration de 1949 à 1953, puis de 1958 à 1965. En outre, il a occupé le poste prestigieux de premier rédacteur en chef du Journal mathématique du Canada de 1949 à 1957 et a continué à apporter sa contribution en tant que membre du comité de rédaction de 1958 à 1975. Auparavant, Coxeter avait fait partie du comité du Journal de 1945 à 1953. Il a également siégé au comité des nominations en 1953 et 1963 et au comité des finances pendant un an en 1966. Ce dévouement et ce service extraordinaires sont célébrés à juste titre par la Société, qui a créé le prix Coxeter-James. Institué en 1978, ce prix prestigieux est décerné chaque année à de jeunes mathématiciens qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la recherche mathématique, en reconnaissance de l’héritage durable de Coxeter.

Je suis convaincu que la Société mathématique du Canada, ainsi que l’ensemble de la communauté mathématique canadienne, maintiendront l’héritage de Coxeter en perpétuant sa profonde affection pour tous les domaines des mathématiques, et en particulier son profond dévouement à l’étude de la géométrie. Sa recherche incessante de l’excellence continuera sans aucun doute à inspirer et à guider les futures générations de mathématiciens, comme elle me guide aujourd’hui.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : ilia.binder@utoronto.ca
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