Une mission élargie pour le Comité d’éducation de la SMC

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Septembre 2025 (tome 57, no. 4)

Dans un article paru en mars dernier dans le second numéro du volume 57 des Notes de la SMC, notre estimé collègue Pr. Miroslav Lovric nous faisait part de ses réflexions et idées au sujet du travail du Comité d’éducation de la SMC qu’il préside actuellement.

Permettez-moi de résumer certains éléments de son propos (en paraphrasant par souci de concision) sur lesquels j’aimerais maintenant rebondir.

Il existe, au niveau universitaire, deux populations distinctes liées à l’enseignement des mathématiques. La population 1 comprend les universitaires (j’emplois, ici et ailleurs dans ce texte, ce terme dans une acception large) – souvent rattachés aux départements de mathématiques – qui enseignent des cours en mathématiques et qui, pour la plupart, ne participent pas à la recherche en enseignement des mathématiques. Ces population – que l’on pourrait qualifier de praticiens de l’enseignement des mathématiques, et ce, en contexte universitaire – peut elle-même être divisée en deux sous-groupes : la population 1a, composée majoritairement de professeurs-chercheurs, et la population 1b, qui regroupe tous ceux et celles dont la description de tâche laisse entrevoir une très nette prédominance de l’enseignement. La population 2 est quant à elle composée d’universitaires – souvent rattachés aux facultés d’éducation – qui sont principalement des chercheurs en enseignement des mathématiques ou en didactique des mathématiques.

À noter que le code alphanumérique est utilisé (à tort ou à raison) pour faciliter les références futures uniquement. Il faut donc s’abstenir d’y voir un quelconque ordre de priorité ou d’importance.

Si la collaboration entre ces deux populations est souhaitable et s’est avérée mutuellement bénéfique par le passé, nous dit encore le collègue Lovric, le rôle principal des efforts éducatifs de la SMC devrait être de servir la population 1b.

Pr Lovric n’a pas tort quand il soutient, en appuis son propos, que les universitaires issus des populations 1a et 2 disposent d’une infrastructure bien développée (organisations, conférences, subventions, publications, etc.) qui répond à leurs besoins et à leurs intérêts alors que les universitaires de la population 1b ont très peu d’opportunités de ce type. Cette analyse m’apparaît même fort juste, mais j’aimerais ici défendre un élargissement de la perspective : plutôt que de cibler prioritairement la population 1b, le Comité d’éducation de la SMC devrait – à mon avis – viser le plus grand maillage possible et imaginable entre les trois populations identifiées (1a, 1b et 2). Car s’il est vrai que la population 1b bénéficie de trop peu d’occasions de développement professionnel structuré, il est tout aussi vrai que les occasions d’échanges féconds entre les différentes populations universitaires impliquées dans l’enseignement des mathématiques sont rares et, partant, précieuses.

Il est toutefois essentiel de dépasser le constat de cette division et de réfléchir aux moyens concrets de renforcer les liens entre ces communautés.

Le monde universitaire, sous l’effet combiné des logiques institutionnelles et des dynamiques de la recherche, tend à favoriser la spécialisation. Or, la spécialisation produit presque inévitablement une forme d’entre-soi. Cela n’est pas en soi un mal : nul ne peut prétendre à la maîtrise de toutes les disciplines, et l’approfondissement du savoir requiert de s’engager durablement dans des problématiques ciblées. Mais un idéal universitaire véritable ne saurait s’en contenter.

À l’heure actuelle, les occasions de dialogue entre chercheurs en didactique, spécialistes en pédagogie universitaire et enseignants de mathématiques (qu’ils soient chercheurs ou non) sont trop rares. Chacun évolue dans son propre réseau, avec ses références, ses lieux de publication et ses critères de reconnaissance. Ce cloisonnement limite la circulation des idées, l’enrichissement mutuel et, ultimement, l’amélioration de la qualité de l’enseignement des mathématiques au postsecondaire.

Certains mathématiciens voient dans les recherches en didactique un discours trop éloigné de leurs préoccupations concrètes ou une remise en question injustifiée de leur compétence pédagogique. À l’inverse, certains didacticiens perçoivent les enseignants de mathématiques comme réfractaires aux avancées de la recherche en éducation ou peu sensibles aux fondements théoriques de l’enseignement. Ces perceptions mutuelles, souvent exagérées, entretiennent la distance entre les groupes plutôt que de favoriser la collaboration.

Il ne s’agit pas de nier les différences d’approches, mais de créer les conditions d’un dialogue soutenu et structuré. Par exemple, des journées d’étude conjointes et des groupes de co-développement professionnel pourraient être des moyens concrets de (re)bâtir des ponts. Ces espaces de rencontre permettraient de faire émerger des problématiques communes, de partager des pratiques efficaces, d’identifier des leviers d’action pour mieux soutenir les étudiants ou encore de réfléchir ensemble à des dispositifs d’évaluation plus cohérents.

Dans cette optique, le Comité d’éducation ne devrait pas se limiter à offrir des ressources à une seule de trois populations (la 1b), mais à jouer un rôle catalyseur à cet égard. Non pas en se substituant aux initiatives existantes, mais en facilitant les connexions entre les réseaux, en soutenant la mise en place de projets collaboratifs et en valorisant les travaux qui émergent de ces croisements. Cela suppose aussi de reconnaître la pluralité des formes d’expertise : celle du chercheur en didactique, qui analyse les conditions de l’apprentissage et les obstacles épistémologiques ; celle de l’enseignant chevronné, qui connaît les dynamiques réelles des groupes en classe ; celle du mathématicien, qui maîtrise les contenus et leurs enjeux structurels.

Loin de diluer les exigences disciplinaires, une telle collaboration les renforce. Elle permet de mieux comprendre comment les étudiants s’approprient les concepts, d’ajuster l’enseignement aux réalités contemporaines sans sacrifier la rigueur, et de réfléchir collectivement aux finalités de la formation universitaire en mathématiques.

En favorisant de tels maillages, la SMC ne sacrifierait pas la rigueur ou l’excellence scientifique ; elle ne remettrait pas en cause l’expertise pas plus qu’elle ne ferait l’apologie d’une forme de relativisme où toutes les opinions se vaudraient indépendamment de leur fondement. Elle affirmerait au contraire que l’expertise disciplinaire trouve tout son sens lorsqu’elle peut dialoguer avec d’autres formes de compétence et d’analyse et elle prolongerait sa mission par une véritable culture universitaire fondée sur l’écoute, l’échange, et la reconnaissance mutuelle.

En somme, la mission du Comité d’éducation devrait viser à resserrer les liens entre les différentes composantes du monde universitaire concernées par l’enseignement des mathématiques. C’est dans cette mise en relation – exigeante, parfois inconfortable, mais intellectuellement féconde – que se trouve le potentiel d’un renouveau durable de la formation mathématique au postsecondaire. Le développement professionnel des uns, les orientations de recherche des autres et la qualité globale de l’enseignement supérieur en mathématiques y gagneraient.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : frederic.morneau-guerin@teluq.ca
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