Euclide et l’éclipse

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Éditorial
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Éditorial
Novembre 2022 (tome 54, no. 5)

Le matin du 8 novembre, une éclipse totale de lune était visible dans tout le Canada. En Nouvelle-Écosse, elle s’est produite un peu avant le lever du soleil, un moment propice à l’observation. Je me suis donc réveillé tôt et j’ai regardé par la fenêtre : le disque de la lune était déjà à moitié obscurci, avec une faible lueur cuivrée tout juste visible sur la moitié éclipsée. J’ai réveillé ma femme, et nous avons regardé aux jumelles le reste de la lune glisser dans l’ombre. Alors que le demi-disque que nous avons vu au début ne semblait pas très différent d’une demi-lune croissante ordinaire (sauf qu’il avait une semaine de retard), au fur et à mesure que l’éclipse progressait, la forme n’était pas le croissant familier mais presque un segment parfait, un bord droit et un autre courbé.

Au moment de l’éclipse totale, la lune avait l’air étonnamment tridimensionnelle – la douce lumière du coucher du soleil qui l’éclairait encore montrait sa forme d’une manière que la lumière crue du soleil ne fait jamais. Puis le soleil s’est levé, le ciel s’est éclairci, et la boule ocre s’est fondue dans le ciel de l’aube comme un chat du Cheshire.

Un spectacle magnifique : et cela m’a incité à réfléchir à la géométrie impliquée. Il est clair qu’une pleine lune est une condition nécessaire pour une éclipse lunaire (et une nouvelle lune pour une éclipse solaire) : mais pourquoi n’est-elle pas suffisante ? La réponse, bien sûr, est que l’orbite de la lune autour de la terre n’est pas dans le même plan que l’orbite de la terre autour du soleil. Les trois corps ne peuvent s’aligner que lorsque la lune traverse le plan de l’écliptique (c’est pour cela qu’on l’appelle ainsi !) Les éclipses devraient donc se produire deux fois par an.

Et, en gros, c’est ce qui se passe. Mais le plan de l’orbite de la lune précède d’environ 18,6 ans, donc l’intervalle entre les éclipses est juste un peu moins de six mois. Et parfois, la lune n’est pas tout à fait pleine au moment où elle traverse l’écliptique : un manque de justesse donne une éclipse partielle, un manque plus important une « éclipse pénombrale » presque indétectable. Les éclipses solaires, qui exigent que les trois corps soient alignés avec une précision bien plus grande, suivent des cycles similaires, mais avec moins de « coups ». Cela devient compliqué !

Ces cycles en interaction nous mènent rapidement à la théorie des nombres. Et ils ont cet effet sur les gens depuis longtemps : en témoigne le vocabulaire associé à la chronologie des éclipses. « Cycle de Saros », « exeligmos », « mois draconique » : ce sont des noms, sinon de Harry Potter, certainement de l’antiquité. Après que nos ancêtres se soient habitués à prédire le retour des différentes saisons, la prédiction des éclipses était le projet suivant évident.

Et je présume que c’est la raison pour laquelle les Éléments d’Euclide, bien qu’étant avant tout un ouvrage sur la géométrie, fait un détour pour quatre de ses treize livres par la théorie des nombres – plutôt que, disons, le calcul ou la théorie des équations quadratiques. La théorie des nombres répondait à une question importante – « quand aura lieu la prochaine éclipse ? » – d’intérêt pour tous. Il est donc possible que les éclipses expliquent en partie pourquoi l’un des résultats les plus connus des Éléments – le seul auquel le nom d’Euclide est largement attaché – est un algorithme de la théorie des nombres.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : dawson@cs.smu.ca
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