Les Notes pédagogiques présentent des sujets mathématiques et des articles sur l’éducation aux lecteurs de la SMC dans un format qui favorise les discussions sur différents thèmes, dont la recherche, les activités les enjeux et les nouvelles d’intérêt pour les mathématicien.ne.s. Vos commentaires, suggestions et propositions sont les bienvenues.
Egan J Chernoff, University of Saskatchewan (egan.chernoff@usask.ca)
Kseniya Garaschuk, University of the Fraser Valley (kseniya.garaschuk@ufv.ca)
Il fut un temps où mon université (Simon Fraser University) menait une enquête sur les conditions d’emploi du corps professoral. L’enquête était plutôt ennuyeuse, mais elle donnait à mes collègues l’occasion de se plaindre du manque de temps pour la recherche, du soutien insuffisant de l’administration, des classes surchargées, de la mauvaise ventilation, etc. Mais cette enquête comportait également une question intéressante : « Qu’est-ce qui vous plaît dans votre travail à SFU ? ». Comme cette question se trouvait à la fin d’un questionnaire de plusieurs pages, j’ai répondu « la possibilité de skier en semaine ». Si les habitants de Vancouver savent de quoi je parle, le reste des Canadiens aura peut-être besoin d’une explication. Les trois montagnes locales de Vancouver sont bondées le week-end, de sorte que seuls ceux qui ont des horaires de travail flexibles (ou les riches sans emploi) peuvent échapper à la foule et profiter des pistes en semaine.
Blague à part, je voudrais donner une réponse un peu plus sérieuse à la question de savoir ce que j’aime dans mon métier d’enseignant et de chercheur en mathématiques. C’est l’occasion d’approfondir ma compréhension des mathématiques. Et il y a toujours une occasion d’approfondir les mathématiques que vous connaissez déjà, ou que vous pensez connaître.
Je vais illustrer mon propos par un exemple.
Quelles fonctions sont inversibles ? Autrement dit, quelles conditions doivent être remplies pour qu’une fonction ait une inverse ? J’invite les lecteurs à réfléchir à leur propre réponse avant de poursuivre leur lecture.
Cette question plutôt simple, à laquelle un élève du secondaire pourrait répondre, a donné lieu à un désaccord majeur entre moi-même et un collègue très respecté et très compétent. Alors que j’affirmais avec véhémence que pour avoir une inverse, une fonction doit être bijective (injective) et surjective, mon collègue soutenait avec passion que seule l’injectivité était requise. Il convient de noter qu’au moment où j’écris ces lignes, l’IA est d’accord avec moi, mais notre désaccord a eu lieu avant que l’IA ne devienne l’arbitre ultime, et il existe de nombreuses ressources, y compris des manuels scolaires, qui soutiennent l’une ou l’autre des thèses. Alors, qu’en est-il exactement ? Ou plutôt, qui a raison ?
Cela me rappelle une vieille parabole dans laquelle deux hommes s’approchent d’un rabbin pour lui demander son avis sur leurs arguments contradictoires. Le rabbin écoute attentivement le premier homme et lui dit : « Tu as raison ». Puis il écoute le deuxième homme et lui dit également : « Tu as raison ». Un troisième homme, qui a été témoin de la scène, s’approche du rabbin, perplexe, et lui dit : « Ils présentent des points de vue contradictoires, ils ne peuvent pas avoir tous les deux raison ! » Ce à quoi le rabbin répond : « En effet, tu as raison, mais… ».
Pour en revenir aux conditions d’inversibilité d’une fonction, le point de vue « correct » dépend de la définition (implicite) d’une fonction. En fait, il existe deux définitions légèrement différentes, mais toutes deux acceptées par la communauté mathématique. L’une est la « définition des paires ordonnées », c’est-à-dire qu’une fonction est un ensemble de paires ordonnées qui est univalent. L’unicité signifie qu’un élément ne peut apparaître en première position dans plus d’un couple ordonné. Formellement, si (a,b) \in f et (a,c) \in f , alors b=c. L’autre est la « définition par triplets », c’est-à-dire qu’une fonction est un triplet (F, A, B), où A et B sont des ensembles et F est un ensemble univalent de couples ordonnés (x,y) où x \in A et y \in B. Autrement dit, pour tout x dans A, il existe un y unique dans B (univalent) tel que (x,y) est un élément de F. L’ensemble A est le domaine de la fonction, B est le codomaine.
Bien que la similitude soit évidente, une différence notable réside dans la mention explicite du domaine et du codomaine dans la « définition triple ». Ainsi, l’adoption (même implicite) de cette dernière définition nécessite une bijection (à la fois injection et surjection) pour l’inversibilité de la fonction, tandis que dans le cas de la « définition par paires ordonnées », l’injection suffit pour l’existence d’une inverse.
Ces questions sont explorées et illustrées de manière claire dans Mirin, Milner, Wasserman et Weber, K. (2020) (demandez-moi une copie si vous ne pouvez pas vous la procurer facilement !). En fait, cet article suggère de « consulter Zazkis & Marmur (2018) pour une explication plus approfondie ».
C’est là qu’a commencé le désaccord entre les auteurs et l’éditeur concernant l’exigence d’inversibilité, et les parties ont respectueusement convenu de ne pas être d’accord. Il est intéressant de noter que mon enquête informelle, qui consistait à interroger plusieurs collègues mathématiciens, a suggéré que les personnes ayant suivi une formation mathématique en Amérique du Nord ont tendance à affirmer que l’injection est une exigence suffisante, tandis que celles ayant suivi une formation mathématique en Europe penchent plutôt pour la bijection. Confirmez-vous cette observation ?
Enfin,
Ces deux fonctions sont-elles équivalentes ?
g: R→R, où g(x) = x2
h: R→[0, ∞), où h(x) = x2
Références:
Mirin, A., Milner, F., Wasserman, N., & Weber, K. (2020). On two definitions of ‘function’. For the learning of mathematics, 41(3), 21-24.
Zazkis R. & Marmur O. (2018). Groups to the rescue: responding to situations of contingency. In Wasserman, N. (Ed.) Connecting Abstract Algebra to Secondary Mathematics, for Secondary Mathematics Teachers, 363—381. Springer.