Quelques commentaires sur l’état du soutien à la recherche au Canada

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Article de couverture
Juin 2024 (tome 56, no. 3)

Dans cette note, j’aimerais discuter de l’état du financement de la recherche offert par le CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Le CRSNG soutient les activités scientifiques par le biais de plusieurs programmes, notamment des bourses d’études pour les étudiants de premier et deuxième cycles, des bourses de recherche pour les post-doctorants, ainsi que des subventions de recherche et d’autres programmes axés sur les activités de vulgarisation scientifique. Le montant du financement dont dispose le CRSNG est contrôlé par le gouvernement fédéral. Bien que les différents gouvernements aient occasionnellement accordé au CRSNG des fonds nouveaux et accrus, la triste réalité est que le financement des subventions et des bourses n’a pas suivi le rythme de l’inflation.

La situation des bourses d’études supérieures a fait l’objet de l’attention des médias au cours des derniers mois, en grande partie grâce à l’organisation populaire Support Our Science, qui a fait pression pour obtenir un soutien accru. L’argument était facile à faire valoir, étant donné que les bourses d’études supérieures CGS-Maîtrise et PGS-Doctorat sont restées inchangées à 17 500 $ et 21 000 $ respectivement depuis plus de vingt ans. Bien qu’elles portent le nom de « bourses », ces bourses constituent dans la pratique la principale source de revenus des étudiants qui les détiennent. Alors que les étudiants diplômés pouvaient potentiellement vivre avec 17 500 $ ou 21 000 $ il y a vingt ans, ce niveau de financement se situe aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.

J’ai le plaisir d’annoncer que le budget fédéral qui a été présenté à la Chambre des communes en avril promet des changements substantiels pour les bourses d’études supérieures. S’il est adopté sans révision, les bourses de maîtrise passeront de 17 500 $ à 27 000 $, et les bourses de doctorat passeront de 21 000 $ à 40 000 $. Les bourses post-doctorales passeront également de 45 000 $ à 70 000 $ par an. En outre, le budget s’engage à augmenter le nombre de bourses d’études et de perfectionnement, bien que les détails spécifiques à cet égard ne soient pas encore disponibles. Ces augmentations du soutien aux étudiants diplômés et aux boursiers post-doctoraux sont très appréciées. Nous pouvons espérer qu’elles sont le signe que le gouvernement fédéral accorde de l’importance à la science et à la nouvelle génération de chercheurs.

Toutefois, cet espoir est peut-être trop optimiste, car d’autres aspects de l’aide fédérale sont encore à la traîne. L’un d’entre eux est le soutien apporté sous la forme de bourses de recherche pour les étudiants de premier cycle. Ces bourses sont souvent attribuées à des étudiants de premier cycle talentueux qui travaillent sur des projets de recherche d’été sous la supervision d’un professeur. Le financement des BRPC se fait de la manière suivante : le CRSNG fournit 6 000 $ et le professeur superviseur doit fournir un supplément de 25 % de sa subvention de recherche. Les étudiants ont ainsi l’occasion d’acquérir une expérience de la recherche au cours des 16 semaines que dure la bourse. Mais si l’on fait le calcul, les 7 500 $ que reçoit l’étudiant se traduisent par 468,75 $ par semaine. En supposant une journée de travail de 7,5 heures, cela représente 12,50 $ par heure. Il s’agit d’un niveau de rémunération inférieur aux normes (en effet, il est inférieur au salaire minimum dans plusieurs provinces) et crée un obstacle systémique qui dissuade les étudiants défavorisés d’accepter les opportunités de formation et de recherche prévues et d’en bénéficier. Je soutiens que le gouvernement fédéral et le CRSNG peuvent et doivent faire mieux. Bien sûr, les professeurs peuvent faire de même, en offrant plus que le supplément minimum de 25 %. Ceci, à condition que le professeur dispose d’une subvention de recherche suffisamment élevée pour le faire.

Cela m’amène à parler de l’état du financement des subventions à la découverte du CRSNG, qui constituent la principale (et dans de nombreux cas la seule) source de financement de la recherche pour les mathématiciens dans les universités canadiennes. L’un des points forts du système de subventions du CRSNG, qui fait l’envie des mathématiciens d’ailleurs, est qu’il a adopté une philosophie consistant à fournir une large base de soutien aux chercheurs de tout le pays. En d’autres termes, presque tous les chercheurs en mathématiques qui font preuve d’une véritable force dans les domaines de la recherche et de la formation des étudiants ont traditionnellement bénéficié d’un soutien, même si ce soutien était relativement modeste. Dans d’autres pays, on observe une tendance à concentrer le soutien sur une petite cohorte de chercheurs exceptionnellement éminents qui reçoivent des sommes considérables, ce qui leur permet de se concentrer sur la recherche et la formation des étudiants.

À l’instar des bourses du CRSNG qui languissent depuis plusieurs décennies, le soutien du Canada aux subventions à la découverte n’a pas non plus suivi le rythme de l’inflation. Lors de la réunion du Conseil d’administration de la SMC de l’été dernier, les délégués du CRSNG ont présenté des nouvelles alarmantes concernant le concours de subventions à la découverte du CRSNG pour 2023. Plus précisément, le CRSNG a choisi de ne pas accorder de financement aux chercheurs établis dont les demandes ont été placées dans le bac J (le bac « fort fort fort », ainsi appelé en raison de la note « fort » correspondante dans chacun des trois critères d’évaluation). Cette décision a été appliquée à toutes les disciplines sans consultation préalable de la communauté scientifique. La motivation sous-jacente semble être le désir d’augmenter la valeur individuelle des subventions accordées, mais en l’absence d’une augmentation globale du financement par le gouvernement, le CRSNG a choisi d’obtenir cet effet en élevant le seuil d’obtention des subventions pour les chercheurs.  

L’impact de ce changement sur les chercheurs dont les demandes auprès du CRSNG tombent dans le bac J est dévastateur. Même si le bac J n’offrait auparavant qu’un soutien modeste, elle permettait aux chercheurs de rester actifs, de se rendre à une conférence et de soutenir des étudiants de l’USRA. Refuser de soutenir des chercheurs méritants risque réellement de mettre fin à leur carrière de chercheur et, en outre, de perturber le vivier de talents qui nourrit les étudiants qui seraient normalement encadrés par les chercheurs concernés.  

Le Conseil d’administration de la SMC a fait part de ses objections aux représentants du CRSNG qui nous ont annoncé la nouvelle lors de notre réunion d’été à Ottawa. Il a ensuite envoyé des lettres directement à Marc Fortin, vice-président du CRSNG chargé des subventions de recherche et des bourses, afin de protester contre la décision du CRSNG et d’exprimer ses préoccupations à cet égard. En novembre, le Dr Fortin a rencontré le conseil d’administration de la société, qui a insisté sur le fait que la décision du CRSNG nuit à la fois aux personnes directement touchées et à l’ensemble de la famille mathématique. Je sais que plusieurs autres sociétés représentant d’autres disciplines scientifiques ont également été prises par surprise et qu’elles ont elles aussi réagi pour exprimer leur choc et leur inquiétude. Bien que notre mécontentement collectif ait été reconnu, il reste à voir quel sera l’effet de nos protestations.  

Il est décourageant d’apprendre que le concours de subventions à la découverte 2024 (dont les résultats n’ont été communiqués que récemment aux candidats) semble avoir une fois de plus laissé les chercheurs au sein du bac J sans subventions de recherche. Une lueur d’espoir pourrait toutefois apparaître dans le budget fédéral 2024. Outre l’augmentation substantielle et attendue depuis longtemps du soutien aux bourses d’études supérieures et aux bourses postdoctorales, le budget propose d’« accroître le financement des subventions de recherche de base et le soutien aux chercheurs canadiens », ce qui semble indiquer qu’il pourrait fournir une injection de nouveaux fonds vers les subventions à la découverte du CRSNG. On ne sait pas encore comment le CRSNG distribuera les nouveaux fonds qu’il recevra bientôt du gouvernement. Nous suivrons avec grand intérêt ce qui se passera.

Entre-temps, les nombreuses conversations et réunions que j’ai eues sur ces questions m’ont appris que nos hommes politiques doivent absolument valoriser la science et les avantages d’un soutien adéquat à une large base d’activités de recherche. Si vous avez l’occasion de discuter de l’état des investissements dans la recherche avec vos représentants élus, prenez le temps de le faire et de les informer des nombreuses valeurs de la science et de la recherche.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : dapike@mun.ca
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