Nous n’y serons pas.

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Éditorial
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Éditorial
Mars 2022 (tome 54, no. 2)

Pendant que j’écris ceci, les forces armées russes bombardent les villes ukrainiennes. La capacité des autres pays d’aider Ukraine est limitée, et celle des organisations non gouvernementales est encore plus restreinte. Néanmoins, la SMC a déclaré que nous ne participerons pas comme organisation au Congrès international des mathématiciens 2022 qui se déroulera à Saint-Pétersbourg et que nous n’y appuyons aucune participation individuelle. Comparé aux sacrifices du peuple ukrainien, ou même aux soutenances fournies par notre gouvernement et d’autres, ceci peut sembler un petit geste. Et pourtant, plusieurs d’entre nous penseront probablement : « oui, mais les sciences – les mathématiques – ne sont-elles pas censées être au-dessus de la politique ? » C’est une question naturelle; mais ce n’est pas la bonne question.

D’abord, même s’il y a deux côtés de chaque problème, les deux partis de ce conflit ne sont pas comparables. Il est vrai que les superpouvoirs prennent, en général, une vue sur leur sécurité nationale qui ressemble aux axiomes de séparation plus hauts : pour être véritablement en sécurité, selon la théorie, un pays fort doit être entouré des pays plus faibles qui sont alignés avec eux. Ceci est compréhensible, mais injuste, du moins quand l’on force le rôle sur le pays plus faible. (Vous vous demanderez probablement, « Et quoi de la Baie des Cochons et l’embargo commercial américain sur Cuba ? ». Précisément – cela était injuste, et cette situation est encore pire.) Le désir de la Russie d’avoir une couche de protection sacrifiable n’éclipse pas l’autodétermination ukrainienne et ne doit pas l’éclipser. Et les Ukrainiens ont vu aux années 1930 que – même quand Ukraine et Russie étaient nominalement deux parties égales de l’URSS – la Russie était considérée comme partie essentielle de l’union, l’Ukraine comme grenier à être saccagé au besoin. Ni l’histoire ni l’opinion populaire ne sont de côté de la Russie.

De plus, le Congrès international des mathématiciens ne définit pas les mathématiques. Il n’a logiquement pas eu de suggestion que nous devrons tenir nos collègues russes individuellement responsables de cet outrage. Les Russes raisonnables sont choqués et mortifiés des actes monstrueux de Poutine, et j’espère que nos collègues russes se trouvent parmi eux. Bien sûr, les mathématiques ne donnent aucune garantie de bonne moralité et des circonstances feront surgir parfois de gens comme Bieberbach ou Kaczynski : mais de telles personnes sont des exceptions. J’ai de la confiance que la plupart de nos lecteurs qui travaillent en collaboration avec des collègues russes pourront continuer à ce faire en bonne conscience, et que la plupart des amitiés survivront à cette période douloureuse.

Cependant, si nous sommes honnêtes, il faut comprendre que les événements comme le Congrès international des mathématiciens et les Olympiques sont aussi liés à la fierté nationale qu’ils le sont aux mathématiques ou au sport. Pendant les bons moments, ces buts sont indépendants les uns des autres, mais ils ne sont pas incompatibles : mais ce n’est pas un bon moment. Nous ne pouvons pas – comme organisation ni comme individuels – feindre la normalité.

Je crois que la société a pris la bonne décision.

Envoyer un courriel à l’auteur(e) : rjmdawson@gmail.com
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